Le droit au multiculturalisme
“Apprends une langue,
tu éviteras une guerre”
Proverbe arabe.
Un message s’ impose ces dernières années,
celui qui veut nous convaincre qu’il existe une langue universelle qui pourrait
nous aider à nous communiquer partout et entre tous.
Ce travail fera l’analyse des causes, des effets et des risques
que cette idée suppose.
Le rêve d’une langue universelle est récurrent
tout le long de l’histoire de l’humanité. On peut penser, par exemple,
au mythe de la grande tour de Babel ou bien à l’espéranto, une
création du XIXème siècle. La diversité sous
laquelle se présente le langage humain est une réalité
pas facile à supporter, cequi est à l’origine du besoin de croire
à la langue unique. La langue universelle serait donc une solution
pour ceux qui pensent, à tort, que la diversité des langues
est la cause des problèmes de l’humanité.
Mais le simple fait constaté qu’une langue ne peut
pas être separée de la culture, suffit pour faire choir le rêve
de la langue unique. “Chaque langue enferme la vision du monde de ses locuteurs:
ce qu’ils pensent, ce qu’ils valorisent, ce qu’ ils croient, comment
ils classent le monde qui les entoure, comment ils organisent leurs vies”
(Dixon 1997 : 144) . Alors, il n’y a pas deux langues identiques.
D’où vient le message de la necessité d’imposer
une langue unique ? Remarquons qu’il y a un rapport entre langue et pouvoir
: la langue est un instrument de communication mais c’est aussi une stratégie
du pouvoir. C’est donc l’énonciateur d’un tel message qu’impose les
critères de l’universel (Godenzzi 1992: 54). Le fait de croire qu’il
y a, au présent, une seule langue utile et de communication universelle,
est en rapport avec les avantages politiques, sociales et surtout économiques
que les locuteurs de cette langue ont en ce moment historique. Or, heureusement,
nous savons qu’il n’ y a pas une seule langue de communication: toutes les
langues servent à communiquer, même si elles ne sont parlées
que par 25 locuteurs (c’est le cas du seneca, une langue parlée au
Canada).
Il est nécessaire d’analyser l’enrichissement que
la diversité suppose. La multiplicité des langues n’est pas
un obstacle pour le développement de l’ humanité. Le
respect pour la diversité des langues suppose une attitude de compréhension
vers les autres, et l’abandon des attitudes ethnocentriques
du langage.
Selon Louis-Jean Calvet (2001): “Il existe dans le monde environ
7000 langues différentes” et il dit encore qu’ “il n’existe pas de
pays monolingue”. Ce fait devrait justifier le multiculturalisme, mais seul
un quart des pays a plus d’ une langue oficielle.
Le plurilinguisme au continent américain
Voyons maintenant le cas des langues de notre Amérique.
D’après Jacques Maurais (1992) “Il y a quelque 600 langues amérindiennes.
(…) Les données disponibles à l’heure actuelle permettent de
croire que plus de 300 langues autochtones d’Amérique font face à
l’ extinction. Ce nombre représente la moitié des langues amérindiennes
encore parlées”.
La perte d’une langue est un fait lamentable et irréversible.
Un trésor disparaît. Le système symbolique milénaire
développé par une communauté, meurt.
On assiste tous les jours au travail des organisations écologiques
qui luttent contre l‘extinction des animaux et des végetaux, mais
on fait très peu pour la conservation des langues.
Jesús Tusón (1997: 119) dit à ce propos:
« Pour qu‘une langue disparaisse il ne faut pas assassiner ses locuteurs,
il suffit de la persuasion, de l’extension des préjugés
et de la promotion de l’innegalité, (il suffit de faire croire qu)’il
y a des langues plus et moins cultes, plus et moins internationales, plus
et moins progressistes”.
En général, les locuteurs des langues autochtones
sont victimes de discrimination sociale, économique et même religieuse
et culturelle. Ils n’ont pas le droit d’être différents.
La Déclaration Universelle de l’ UNESCO sur la Diversité
Culturelle, signée en novembre 2001, le premier article sous le titre
‘La diversité culturelle, patrimoine commun de l’ humanité’
dit : “La culture prend des formes diverses à travers le temps et
l'espace. Cette diversité s'incarne dans l'originalité et la
pluralité des identités qui caractérisent les groupes
et les sociétés composant l'humanité. Source d'échanges,
d'innovation et de créativité, la diversité culturelle
est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu'est la biodiversité
dans l'ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de
l'humanité et elle doit être reconnue et affirmée au
bénéfice des générations présentes et
des générations futures”.
D’ autre part, la Déclaration Universelle des Droits
Linguistiques, signée par des institutions et des organisations non
gouvernementales, réunies à Barcelone en 1996 des Principes
Généraux sous le Titre Premier, établit à l’article
10:
1. Toutes les communautés linguistiques sont
égales en droit.
2. Cette Déclaration considère inadmissibles
les discriminations contre les communautés linguistiques fondées
sur des critères tels que leur degré de souveraineté
politique, leur situation sociale, économique, etc., ou le niveau de
codification, d'actualisation ou de modernisation qu'a atteint leurs langues.
3. En application du principe d'égalité il
faut disposer les moyens indispensables pour que cette égalité
soit effective.
Tout cela n’est pas facile à comprendre pour les locuteurs
d’une langue dominante, écrite et oficielle. Mais il est nécessaire
de penser au futur des communautés dont la langue est exclue de la
modernité, de l’enseignement, de la radio, de la télévision
ou des services gouvernementaux. “Pour bon nombre d’autochtones, l‘amélioration
du statut socio–économique signifie donc trop souvent l’abandon de
la langue maternelle” (Maurais, 1992).
Au Canadá, plus de 50 langues autochtones sont encore
parlées et en Argentine on compte à peu près 16 langues
indigènes. Dans les deux cas, l’état de ces langues est consideré
critique.
On doit tenir compte que les langues autochtones se transmettent
en général oralement, des parents aux enfants, et qu’elles ne
sont pas présentes aux écoles. Les enfants des communautés
autochtones, qui ont comme langue maternelle une langue amérindienne
sont alphabétisés dans la langue oficielle de chaque pays. Pensons
alors, aux problèmes psychologiques et pédagogiques que cela
entraîne: désertion scolaire, analphabétisme, etc.
Un autre aspect important est le développement de
l’ écriture. Certains auteurs voient l’écriture comme un moyen
de préservation d’une langue. Malheureusement, la plupart de
langues amérindiennes n’ont pas de tradition écrite. On revient
encore au divorce entre l’école et les langues minoritaires. Muntzel
(1987: 608-609) croit même “qu’ il faut accorder au moins un domaine
de prestige si l’on veut assurer le maintien des langues autochtones;
dans cette perspective, l’écrit est certes un facteur de prestige”
Alors, le rôle à jouer par les responsables des politiques linguistiques
de chaque état est indispensable : les groupes de pouvoir, les ministères,
les universités, les linguistes voire les intellectuels. Mais au présent,
et à l’ intérieur de chaque pays, l’interêt pour l‘uniformité
et l’homogéneité de la culture predomine. Et ceci à
partir de la culture dominante.
Une langue minoritaire en Argentine
Il y a en Argentine un exemple très clair: le Quechua
est la deuxième languée la plus parlée, après
l’espagnol. Il n’y a pas de données officielles sur le nombre de locuteurs,
car les recensements n’apportent pas de chiffres sur les langues minoritaires.
On pense qu’ en Argentine il y a, à peu près 300.000 locuteurs
de la langue Quechua, dont 160.000 sont à la province de Santiago
del Estero. Les données relatives au nombre de locuteurs des langues
minoritaires a amené une démographe à parler d’ «
ethnocide statistique ». (L.M. Valdés 1988 :39).
Il s’agit d’un fait d’exclusion culturelle, bien sûr.
Mais la discrimination est encore plus grave : la langue a été
interdite à l’école jusqu’à la moitié du XXème
siècle. Au présent, il n’y a plus d’interdiction, mais les locuteurs,
bilingues la plupart, n’admettent pas qu’ils parlent la langue quechua, pour
des raisons de prestige et par peur à la discrimination. Alors, la
langue est confinée aux domaines d’utilisation informelle avec le
groupe familial et les amis.
Les locuteurs sont, en général, de petits cultivateurs
ou pêcheurs pauvres. (Courthès : 2000)
Dès nos jours, il n’y a aucun programme officiel qui
vise à la conservation et à la diffusion de la langue quechua.
Elle n’est pas un objet d’études aux universités et ce qui
est plus grave encore elle n’est pas un moyen d’instruction (Albarracín
2002).
Le cas de cette langue n’est pas un exemple isolé.
En Amérique du Sud l’espagnol progresse aux dépens des langues
amérindiennes. Au Brésil, le portugais menace les langues autochtones,aux
États-Unis l’anglais, et au Canada non seulement les langues autochtones,
mais aussi le français sont en régression au profit de l’anglais
(Maurais, 1992).
«Or lorsqu’on identifie mondialisation et néo-libéralisme,
on lui reproche le fait que non seulement les Étas nationaux s’évanouiront,
mais aussi, que sous son économicisme dévastateur, s’estomperont
les différences culturelles et donc les pôles d’ identité
» (Hoyos Vasquez, 2001).
L’ethnocide continue cinq siècles après l’arrivée
des conquérants. Des langues européennes continuent à
être imposées et les navires des conquérantes ont éte
remplacées par les modernes navigateurs d’Internet.
Un grand nombre de fonctionnaires, voire d’ intellectuels
croient que c’ est inutile de s’ occuper des langues qui sont associés
à la pauvreté et à la misère, ce qui est une manière
de comdamner ces langues à disparaître dans très peu
de temps. C’ est- à- dire, le linguicide permanent est le résultat
d’ une politique mondiale, et de l’ indifference des linguistes et des groupes
de pouvoir.
Une phrase de Mario Vargas Llosa (1995) est un résumé
de la pensée des certains groupes dominants: “La modernisation n’est
posible qu’avec le sacrifice des cultures indigènes”.
Conclusions
Dans le scénario d’ un nouvel ordre mondial qui menace
nos identités culturelles, la lutte pour le droit au multiculturalisme
a un rapport avec la défense des langues minoritaires.
On entend tous les jours qu’à l’avenir il n’y aura
qu’une seule langue et une seule culture, c’est ce qu’on appelle la mondialisation
.
Travailler pour la promotion et la préservation de
la diversité culturelle dans notre Amérique c’est
enrichir le patrimoine culturel de l’humanité. S’ouvrir à
la culture du monde, est un défi, mais on ne pourra le faire que sur
les bases solides de notre propre identité culturelle.
Protéger les langues menacées est la
tâche de tous, parce que toutes les langues méritent un espace
dans le dialogue interculturel de notre sociéte moderne.
De ne pas le faire, nous serons, en tant que citoyens d’une
société démocratique, les responsables de nouvelles
disparitions.
Bibliographie:
Albarracín, Lelia Inés “Lengua Minoritaria y Escuela” dans I Simposio Internacional y V Regional de la Cátedra UNESCO «Lectura y Escritura : Nuevos desafíos» Subsede Universidad Nacional de Cuyo. Mendoza: Universidad Nacional de Cuyo, 4-6 abril 2002.
Calvet, Louis-Jean. “Identité et plurilinguisme”, dans 1ère Table Ronde Identité et multiculturalisme. Trois espaces linguistiques face aux défis de la mondialisation. París, 20-21 mars 2001.
Couthès, Éric “Calques syntaxiques du quichua de Santiago del Estero sur l’ espagnol local” dans Crisol nº 3. Nanterre: Université Paris X, Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-Américaines, 2000.
Dixon, R.M.W. “The Rise and Fall of Languages”. Cambridge: University Press, 1997.
Godenzzi, Juan Carlos “El recurso lingüístico del poder” dans El quechua en debate. Cuzco: Centro de Estudios Regionales Andinos “Bartolomé de las Casas” et Juan Carlos Godenzzi (editor – compilador), 1992.
Hoyos Vásquez, Guillermo. “Communication interculturelle pour ‘démocratiser la démocratie’ ”, dans 1ère Table Ronde Identité et multiculturalisme. Trois espaces linguistiques face aux défis de la mondialisation. París, 20-21 mars 2001.
Maurais, Jacques. “Chapitre I: La situation des langues autochtones d'Amérique”, dans J. Maurais (dir.), Les langues autochtones du Québec. Dossiers Nº35. Québec: Publications du Conseil, 1992.
Muntzel, Martha Una experiencia mexicana : el ocuilteco. México: América Indígena, 47 (4), 1987.
Tusón, Jesús Los prejuicios lingüísticos. Barcelona, España: Octaedro Universidad, 1997.
Valdés, Luz María El Perfil Demográfico de los Indios Mexicanos. México: Siglo Veintiuno Editores, 1988.
Vargas LLosa, Mario "V Centenario. ¿Buscando Culpables?"
dans Harper's Magazine, Décembre 1990, pages 52-53. New York:
Harper’s Magazine, 1990.